Une question essentielle

Quelle convergence entre l’ascète yogi tibétain Milarepa et Madame Guyon, la grande mystique chrétienne ? entre Ramana Maharshi et le célèbre soufi Al-Hallâj ? Quel dénominateur commun à ces êtres hors de l’ordinaire qui, de façons apparemment tellement différentes, ont gravi les échelons menant à la réalisation ultime ? Ne s’agit-il pas d’une question de la plus haute importance ? s’interroger sur ce qu’est le cœur d’une pratique ?

S.S. le Dalaï Lama : Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’humanité

On a demandé au Dalaï Lama :

– “Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans l’humanité ?”

il a répondu : “Les hommes… Parce qu’ils perdent la santé pour accumuler de l’argent, ensuite ils perdent de l’argent pour retrouver la santé.

“Et à penser anxieusement au futur, ils oublient le présent de telle sorte qu’ils finissent par ne plus vivre ni le présent ni le futur.

“Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir…

“Et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu.”

Kalu Rinpoché – Notre vie est comme un sablier

Au regard de l’impermanence, ce n’est jamais une erreur que de renoncer à quelque chose d’extérieur pour se consacrer pleinement et profondément à la pratique.

Notre vie est comme un sablier qui ne s’arrête jamais… Chaque instant suit l’autre sans répit. D’instant en instant, la vie s’épuise : nous sommes bébés, puis adultes, puis vieux et morts, chaque instant suit l’autre sans répit, Notre vie est comme une bulle d’eau ou une chandelle ; l’impermanence et la mort sont comme le vent !

Prenant conscience que cela arrivera à chacun de nous, ne devrions-nous pas dès maintenant nous appliquer à pratiquer le Dharma?

Ce précieux corps humain que nous avons maintenant sait communiquer, peut comprendre les enseignements, est doté de toutes les facultés, et a rencontré le dharma. Si nous le gaspillons, non seulement nous aurons à endurer encore longtemps la souffrance régnant dans le samsara, mais nous n’aurons plus ultérieurement la possibilité d’en retrouver un semblable.

C’est pourquoi il nous faut prendre la ferme résolution de bien l’utiliser, en pratiquant le Dharma avec énergie pendant le temps qu’il nous reste en cette vie, bref instant lumineux semblable à celui pendant lequel le soleil perce à travers les nuages.

Kalu Rinpoché, La voie du Bouddha

Edouard Salim Michael : L’ego, l’obstacle principal

Sans jamais en avoir conscience, chacun a une image de lui-même à laquelle il (ou elle) ne veut pas renoncer et qui lui ferme la porte à son évolution à un autre plan d’être. Cette image que l’on a de soi-même est étroitement liée à de l’amour-propre (qu’on appelle en anglais « self-esteem »). Si jamais on blesse cet amour-propre, ce « self-esteem », alors la personne passe son temps à lêcher sa blessure, comme un chien — en d’autres termes, à ruminer la blessure que son ego a reçue. Dans son aveuglement, il ou elle ne peut pas voir l’auto-considération qui l’habite et qui ne permet aucune pratique spirituelle.
Ainsi, si je demande à l’un d’entre vous s’il accepterait que, par magie, il devienne son voisin ou sa voisine, qu’il prenne son visage, son corps et sa psyché, quelle sera sa réponse ? Même si on est tout à fait insatisfait de soi-même, on ne changerait pourtant avec personne d’autre. Sans le réaliser, on est amoureux de soi-même. Il s’agit là d’un problème propre à tous les êtres humains sans exception.
Le symptôme très significatif de cet amour propre, c’est de vouloir être “ spécial”. Dans l’Hindouisme, il est dit qu’il faut devenir “selfless”, sans ego. On veut se libérer, mais se libérer de quoi ? C’est de soi-même tel que l’on est habituellement qu’il faut se libérer ; c’est seulement ainsi que l’on peut trouver l’Absolu qui nous habite. L’idée, consciente ou inconsciente, que l’on est quelqu’un de spécial doit être détruite si l’on veut pouvoir entrer un jour dans un lieu Sanctifié en soi-même.

Edouard Salim Michael Du Fonds des brumes

Hubert Reeves : Poussieres d’étoiles

Reconnaissons que nous sommes amenés ici à une vision du monde bien étonnante. Un univers qui prend conscience de lui-même.
Il nous a suffi de juxtaposer les enseignements des sciences.
La biologie nous apprend que l’humain est le produit d’une longue évolution animale à partir de la cellule.
La biochimie rend très vraisemblable l’idée que la cellule est le fruit d’une chaîne de réactions chimiques à partir de quelques molécules simples.
L’astrophysique nous montre comment ces molécules se sont formées dans l’espace à partir de noyaux atomiques engendrés dans les creusets stellaires. Elle nous amène aussi à l’image d’une explosion initiale à l’échelle de tout l’univers dans laquelle les quarks sont combinés en protons et neutrons, ensuite soudés en noyaux au sein des étoiles.

C’est Pascal qui serait étonné d’apprendre à quel point ces «espaces infinis» le concernent!

À la phrase de Claude Lévi-Strauss, « L’univers est né sans l’humain et mourra sans l’humain », je préfère celle du physicien Freeman Dyson : «L’univers savait, quelque part, que l’humain allait venir ».

Hubert Reeves Poussières d’étoiles

Evangile selon Saint Thomas

“Je me suis tenu au milieu du monde, et je leur suis apparu dans la chair. Je les ai trouvés tous ivres ; je n’ai trouvé parmi eux personne qui ait soif, et mon âme a souffert pour les fils des hommes, car ils sont aveugles en leur for intérieur, et ils ne voient pas du tout qu’ils sont venus au monde vides.”

(Évangile selon saint Thomas, 28, 1-9)

Edouard Salim Michael : Comme en témoigne la vie des grands mystiques

Il faut que l’aspirant réalise que, quelle que soit la voie qu’il suit, il ne peut avoir aucune garantie de parvenir à connaître, d’une façon véridique, l’Infini qui l’habite. Parmi tous ceux qui ont suivi une voie, bien peu ont atteint ce but tellement hors de l’ordinaire. Une honnêteté intransigeante envers soi-même, un maximum de scrupules, une sincérité douloureuse et le plus grand sérieux représentent la seule garantie qu’il puisse y avoir dans ce domaine — comme en témoigne la vie des grands mystiques.

Edouard Salim Michael :  »S’eveiller Une question de vie ou de mort  »

Paul Brunton : L’Inde secrète

… je songe à me retirer, mais je tente encore une dernière question :

«  Avez-vous découvert un dessein, un but à la vie ? »

Les disciples oublient pour un temps leur gravité et sourient de tant de simplicité. Il faut être Occidental, ne rien croire et ne rien savoir pour poser une telle question. Tous les livres sacrés de l’Inde ne s’accordent-ils pas à dire que Dieu tient ce monde en sa main pour être l’instrument de ses propres desseins ?

Le maître ne répond pas, mais jette un coup d’œil à Kavirdj, qui se charge de la réponse : « Certainement, la vie a un but, c’est d’atteindre la perfection, l’union avec Dieu. »

L’Inde Secrète Paul Brunton

Ashvaghosha : Le Chemin de la Sagesse

Le chemin de la sagesse

Le but de cette discipline est de donner à un chercheur l’habitude d’appliquer la pénétration qui lui est advenue comme résultat des disciplines précédentes.
Quand on se lève, qu’on se tient debout, qu’on marche, qu’on fait quelque chose, qu’on s’arrête, on doit constamment concentrer son esprit sur l’acte et sur son exécution, et non sur ses propres rapports avec l’acte, ou son caractère ou sa valeur. Il faut se dire : il y a l’acte de marcher, de s’arrêter, de prendre conscience, et non : je marche, je fais ceci, c’est une bonne chose, c’est désagréable, j’acquiers du mérite, c’est moi qui me rend compte à quel point c’est merveilleux.
C’est de là que viennent les pensées errantes, les sentiments de joie, d’échec ou de malheur. Au lieu de tout cela, il faut simplement pratiquer la concentration de l’esprit sur l’acte lui-même, en comprenant qu’il est un moyen expédient d’atteindre à la tranquillité d’esprit, à la prise de conscience, à la pénétration et à la Sagesse ; et il faut suivre cette pratique dans la foi, la pleine volonté et la joie.

Après une longue pratique, l’asservissement aux vieilles habitudes s’affaiblit et disparaît, et à sa place, apparaissent la confiance, la satisfaction, la vigilance et la tranquillité.

Que se propose d’accomplir ce Chemin de la Sagesse ?

Il y a trois classes de conditions qui nous empêchent de nous avancer le long du sentier de l’Illumination.

Il y a d’abord les attraits provenant des sens, des conditions extérieures et de l’esprit discriminateur.
En second lieu, il y a les conditions intérieures de l’esprit, ses pensées, ses désirs et son humeur.
Tous ces obstacles, les pratiques précédentes (éthiques et mortificatoires) ont pour but de les éliminer.
Dans la troisième classe des obstacles se rangent les incitations instinctives et fondamentales de l’individu (donc les plus insidieuses et persistantes) : la volonté de vivre et de jouir, la volonté de chérir sa personnalité, la volonté de se multiplier, qui donnent naissance à l’avidité et à la cupidité, à la peur et à la colère, à l’engouement, à l’orgueil et à l’égotisme.

La pratique du Paramita de la Sagesse a pour but de maitriser et d’éliminer ces obstacles fondamentaux et instinctifs.

Par ce moyen, l’esprit devient peu à peu plus clair, plus lumineux, plus paisible. La connaissance devient plus pénétrante, la foi s’approfondit et s’élargit jusqu’à ce qu’elles se fondent dans l’inconcevable Samadhi de la Pure Essence de l’Esprit.

À mesure que l’on poursuit la pratique du chemin de la Sagesse, on cède de moins en moins à des pensées de réconfort et de désolation ; la foi devient plus sûre, plus persuasive, plus bienfaisante, et plus joyeuse ; et la peur de la régression disparaît.

Mais ne croyez pas que la consommation finale s’atteigne aisément ni rapidement. Bien des naissances nouvelles pourront être nécessaires.

Tant que persistent les doutes, l’incroyance, les calomnies, la mauvaise conduite, les empêchements du karma, les faiblesses de la foi, l’orgueil, l’indolence et l’agitation mentale, tant que s’en attardent même les ombres, on ne peut atteindre au Samadhi des Bouddhas.

Mais celui qui est parvenu au Samadhi le plus élevé, ou Connaissance Unitive, sera en mesure de prendre conscience, avec tous les Bouddhas, de la parfaite unité de toutes choses sentantes avec le Dharmakaya de l’état de Bouddha. Dans le pur Dharmakaya, il n’y a point de dualisme, ni d’ombre de différenciation. Tous les êtres sentants, si seulement ils pouvaient s’en rendre compte, sont déjà dans le Nirvana. La pure Essence de l’Esprit, c’est le Samadhi le plus élevé, c’est l’Anuttara-samyak-sambhodi, c’est la Prajana Paramita, c’est la Sagesse Parfaite la plus élevée.

Ashvaghosha orateur et poète célèbre, né en Inde vers le 1er siècle de notre ère. Converti au bouddhisme par Aryadeva (principal disciple de Nagarjuna), Ashvaghosha étudia le Mahayana et composa des oeuvres importantes, dont le Buddhacarita, poème sur la vie du Bouddha, et le Gurupanchasika, les « Cinquante versets de dévotion au Guru », qui est devenu au Tibet le manuel de base pour exposer le comportement que le disciple devrait avoir envers son Maître.

Trinh Xuan Thuan : La mélodie secrète

Savez-vous à quel fantastique ballet cosmique participe la Terre ? Au moment même où nous parlons, elle nous entraîne à travers l’espace à raison de 30 km par seconde dans un voyage annuel autour du Soleil. Celui-Ci l’emmène à son tour dans une ronde autour de la Voie lactée, à 230 km par seconde, et cette dernière fonce à son tour vers la galaxie jumelle Andromède à 90 km par seconde.

Et ce n’est pas fini ! Le groupe local de galaxies (une agglomération d’une dizaine de galaxies, dont font partie notre Voie lactée et Andromède) fend l’air à quelque 600 km par seconde attiré par l’amas de la Vierge (une agglomération d’un millier de galaxies), et par le superamas (un groupement d’amas) de l’Hydre et du Centaure. Et le ballet continue… L’amas de la Vierge et le superamas de l’Hydre et du Centaure tombent eux-mêmes vers une autre grande agglomération de galaxies, que les astronomes, faute d’informations, ont surnommée le « Grand Attracteur ».

Extrait du livre La mélodie de Trinh Xuan Thuan

Edouard Salim Michael : La division d’attention

Il est fréquent d’entendre des aspirants dire qu’ils ne peuvent répondre en même temps à l’appel de la vie extérieure et à celui de la vie intérieure ; que, s’ils cèdent aux exigences interminables de la vie extérieure, leur vie intérieure en souffre, et que si, au contraire, ils obéissent à l’appel de la vie intérieure, c’est alors la vie extérieure qui est négligée et en pâtit.

Il faut à un chercheur beaucoup de patience et de fermeté pour arriver à dominer une certaine résistance venant de son moi ordinaire qui l’empêche d’établir en lui une division d’attention très particulière, indispensable dans une quête spirituelle. Ce n’est qu’à la suite d’une pratique tenace et répétée de certains exercices de concentration effectués dans la vie active (et dont l’intensité dépend de son niveau de conscience, de son niveau d’être et de son niveau d’intelligence), qu’il pourra trouver le moyen de vivre dans deux mondes à la fois : d’une part, un monde translucide et éthéré qu’il porte déjà dans les profondeurs de son être et, d’autre part, le monde manifesté et grossier, perceptible par ses organes sensoriels. Ainsi, d’une manière très spéciale, son regard restera tourné vers le monde du dehors, mais, en même temps, son esprit sera dirigé vers l’intérieur de lui-même.

Cette division d’attention particulière (à laquelle l’aspirant doit s’exercer inlassablement) se rencontre mystérieusement chez certains très grands compositeurs ; c’est uniquement grâce à elle que, sans en avoir conscience, ces grands êtres parviennent, alors qu’ils sont intensément absorbés par leurs créations musicales, à entrer en contact avec un autre monde en eux, un univers intérieur énigmatique d’où ils tirent leurs extraordinaires inspirations qui, par la suite, émerveillent le monde extérieur. Cette division d’attention, tellement importante pour la croissance spirituelle de l’aspirant, créera mystérieusement en lui une expansion de sa conscience. En outre, ce n’est que lorsqu’il parviendra à conserver cette subtile division d’attention dans sa vie active qu’un certain équilibre pourra commencer à s’établir en lui entre le monde extérieur et le monde intérieur, un équilibre qui lui permettra d’être conscient de lui-même de manière juste. (..)

Si l’aspirant est réellement sincère dans son désir de répondre à cette énigmatique voix intérieure qui l’appelle si mystérieusement, et s’il est prêt à se donner entièrement à ce qu’il souhaite atteindre en lui-même (qui, sans que peut-être il le réalise au commencement, est pour lui une question de vie ou de mort !), il ne peut alors éviter de constater que la lutte qui lui est demandée pour demeurer intérieurement présent et vrai se révèle indiscutablement difficile. Et, s’il ne se montre pas suffisamment lucide et sur ses gardes devant les problèmes qu’il rencontre en lui-même, il risque de se décourager fréquemment (ou même de capituler en route) en voyant à quel point cette Vérité d’Être et cette Présence Intérieure, qu’il tente si péniblement de consolider en lui, sont fragiles et difficiles à maintenir en vie.

Il sera sans doute déconcerté lorsqu’il découvrira que cette Vérité d’Être et cette Clarté de conscience, qu’il essaie de garder vivantes en lui, ne durent qu’un bref instant avant de s’altérer et de se mêler à nouveau à son état d’esprit coutumier dans lequel il cesse d’être, redevenant ce qu’il est d’habitude, avec ses pensées confuses et ses bavardages intérieurs futiles.

Au début de son engagement dans cette étrange bataille intérieure, la lutte pour demeurer présent et vrai en lui-même peut s’avérer très pénible à supporter pour l’aspirant, car, pendant longtemps encore, ses efforts lui sembleront peut-être ne pas porter de fruits,* et il sera continuellement tenté de vouloir abandonner ce combat intérieur, pensant qu’il est inutile de le poursuivre. Ou bien, il peut même en arriver à croire que la voie qu’il suit n’est pas la bonne et qu’il lui faut en chercher une autre, qu’il doit certainement y avoir quelque part un chemin meilleur et plus facile à suivre !

Il est difficile pour l’aspirant d’accepter que la facilité ne puisse en aucune manière être possible dans une voie spirituelle authentique, à moins d’avoir déjà subi, dans un passé insondable et incompréhensible d’ordinaire, une longue préparation — et même encore…, comme le démontre la vie de tant de grands mystiques, y compris celle du Bouddha, qui ne fut, jusqu’à son illumination finale, qu’un immense effort continuel !

Edouard Salim Michael : Les Obstacles à L’Illumination