Une question essentielle

Quelle convergence entre l’ascète yogi tibétain Milarepa et Madame Guyon, la grande mystique chrétienne ? entre Ramana Maharshi et le célèbre soufi Al-Hallâj ? Quel dénominateur commun à ces êtres hors de l’ordinaire qui, de façons apparemment tellement différentes, ont gravi les échelons menant à la réalisation ultime ? Ne s’agit-il pas d’une question de la plus haute importance ? s’interroger sur ce qu’est le cœur d’une pratique ?

Le visible et L’invisible

Le vagabondage mental sans but dans lequel l’homme vit habituellement sans en avoir conscience le rend extrêmement instable et vulnérable ; il est en partie dû à une mauvaise éducation, mais aussi à toutes ces forces visibles ou invisibles qui exercent un effet sur son être.

Cette instabilité intérieure demeurera une source de souffrance pour un chercheur jusqu’à ce qu’il arrive à en percevoir clairement l’origine et à comprendre que tout ce mouvement incessant qui se produit dans le monde extérieur ainsi qu’en lui-même n’est rien d’autre que la manifestation de forces accidentelles ou autres, agissant les unes sur les autres, et sur lesquelles, la plupart du temps, il n’a aucun contrôle.

Toutefois, par le fait même de constater leur existence, il pourra commencer à en être un peu plus libre, au moins intérieurement, et ne plus réagir aveuglément à leur égard comme auparavant.

Par ce travail spirituel, il en viendra peu à peu à réaliser que toutes les choses perceptibles, animées ou inanimées, constituent des forces, dont certaines le charment et l’attirent, tandis que d’autres le repoussent et le font s’éloigner. Mais, dans les deux cas, il devra essayer de devenir autant que possible conscient de ses réactions involontaires à l’instant même où il se rendra compte qu’il succombe à leur influence. ()

Edouard Salim Michael

Le temps et l’Eternité : Maitre Eckhart & Boece & Roumi

Le temps et l’Eternité :

L’Univers est une succession perpétuelle d’événements ; mais son fondement d’après la Philosophia Perennis est le présent, vide de temps, de l’Esprit Divin.

« Puisque Dieu a toujours un état éternel et présent, Sa connaissance qui surpasse les notions du temps, reste dans la simplicité de Sa Présence et, embrassant l’infini de ce qui est passé et à venir, considère toutes choses comme si elles étaient en train d’être accomplies (Boece) »

Le moment présent est la seule ouverture par laquelle l’âme puisse quitter le temps pour passer dans l’éternité, par laquelle la grâce puisse quitter l’éternité pour passer dans l’âme.
Voilà pourquoi le soufi, et avec lui, tous les autres interprètes pratiquants de la Philosophia Perennis sont, ou tâchent d’être dans le temps présent.

« Le passé et l’avenir voilent Dieu à notre vue ;
Consume les tous les deux avec le fer.
Combien de temps seras-tu cloisonné par ces segments, comme un roseau ?
Tant qu’un roseau est cloisonné, il ne reçoit pas de secrets,
Et n’est pas sonore en réponse à la lèvre et au souffle. »
Djalal-eddine Roumi

« Le temps est ce qui empêche la lumière de nous parvenir. Il n’y a pas de plus grand obstacle à l’encontre de Dieu que le temps. Et non seulement le temps, mais les choses temporelles, non seulement les choses temporelles, mais les affections temporelles ; non seulement les affections temporelles, mais la teinte et l’odeur même du temps. » (Maitre Eckhart)

Techniques de méditation et conscience de soi Vidéo

 « Vigilant parmi les négligents, éveillé parmi les endormis, le sage avance comme un fier destrier qui distance une haridelle. » (29)

Dhammapada

Il faut que l’aspirant réalise que la différence entre penser cet Éveil et le connaître, par une véritable expérience vécue, est aussi importante qu’entre la nuit et le jour ! En outre, il ne doit pas oublier la lutte qu’il lui faut mener contre l’aspect de lui-même qui, en dépit de ce qu’il peut croire, ne désire pas cet éveil, tout comme quelqu’un qui dort la nuit se montre fort mécontent si on se permet de le réveiller et de l’empêcher de redormir !

Par ailleurs, le rappel de ce but (qu’il faut constamment garder en soi) implique d’autres rappels qui doivent l’accompagner, à savoir que, pour devenir un Éveillé, le chercheur doit sans cesse lutter pour se souvenir d’être conscient de lui-même d’une tout autre manière que celle dont il l’est habituellement. Et, pour arriver à être conscient de lui-même de la façon dont il doit réellement l’être, il lui faut continuellement se rappeler de lâcher toute pensée et tout désir sans valeur qui font obstacle à cette conscience inaccoutumée de lui-même. Et, afin de parvenir à abandonner tout ce qui s’oppose à cette conscience inhabituelle de lui-même, il doit constamment se rappeler d’être vigilant, à la fois pour se protéger ainsi que pour préserver ses pratiques spirituelles de tout ce qui peut s’infiltrer subrepticement en lui d’indésirable en provenance du monde extérieur, qui le perturbe ou le tente avec quelque chose qui lui fait plaisir, mais qui, par la suite, se transforme en une source d’attachement supplémentaire qu’il lui faudra combattre.

Dans le silence de l’Insondable Edouard Salim Michael

Hubert Reeves : Expansion de l’univers

Le phénomène de l’expansion de l’univers fait intervenir le mouvement de galaxies situées à des millions d’années-lumière. On ne peut l’appréhender qu’avec la technologie moderne la plus sophistiquée.

En conséquence, on pourrait le croire totalement étranger à notre existence sur la Terre.

Il en est, au contraire, une condition essentielle. Sans cette expansion, sans ce vide immense et glacial qui se creuse entre les galaxies, aucune matière n’aurait pu s’associer; aucune molécule complexe, aucun organisme, aucun cerveau humain ne serait venu au monde. L’existence et le fonctionnement de notre conscience requièrent et exigent ce mouvement universel qui entraîne irrésistiblement les galaxies à des distances toujours plus grandes.

Hubert reeves

Ajahn Brahm : Manuel de méditation

« La meilleure de toutes les communautés », selon le Bouddha, « est celle où les moines les plus anciens sont frugaux et appliqués, occupent utilement leur temps en retirés du monde, et consacrent leur énergie à atteindre ce qui reste à atteindre, à comprendre ce qui reste à comprendre, et à réaliser ce qui reste à réaliser » (AN, III, 93).

Il est donc bien clair que le Bouddha affirme qu’il y a des buts à poursuivre. Ses disciples étaient bien conscients qu’ils devaient s’efforcer d’atteindre des objectifs spirituels. Les réalisations les plus hautes étaient à leur portée, mais seulement s’ils s’y consacraient totalement. Les suttas affirment clairement que la pratique bouddhique ne convient pas à ceux qui sont paresseux. Seuls les arahants n’ont plus rien à faire (MN, 70, 12), et pourtant, même eux, ces pleinement éveillés, travaillent très souvent inlassablement au bien-être ultime d’autrui.

 
Dans ce livre, j’ai encouragé la poursuite de nombreux buts spirituels, de quelques unes des réalisations les plus sublimes qui soient accessibles au monde d’aujourd’hui, parmi lesquelles se trouve le but le plus merveilleux de tous, le plein éveil, qui est la même réalisation que celle du Bouddha.
Certains disent qu’il n’y a rien à atteindre. Ceux qui suivent un conseil aussi fâcheux n’aboutissent évidemment à rien. Seule demeure leur sottise, aussi pesante que jamais, dont témoignera la tourmente que créeront dans leur vie une avidité et une aversion insurmontées. Être né comme être humain est une occasion très précieuse de progresser sur la voie de la sagesse, occasion malheureusement trop souvent gâchée dans une paresse langoureuse ou dans des activités oiseuses. Le Bouddha recommandait de pratiquer l’entraînement avec le même sens de l’urgence que si nos vêtements étaient en feu. Voilà pour ce qui est du temps perdu.

Kathleen Raine : Femmes en Quête d’ Absolu

Je voudrais demander aux jeunes de rejeter la vision matérialiste, qui est fausse et a conduit à une terrible dégradation de l’image de l’être humain (selon celle-ci, l’être humain n’est qu’un accident dans le grand mécanisme de cet univers, nous ne sommes rien, et la destruction est imminente ).

 C’est vraiment une conception totalement erronée de ce que nous sommes et de ce qu’est l’univers, parce que le mesurable a été mis à égalité avec la réalité ; et l’on a graduellement contesté à l’incommensurable – qui inclut la conscience elle-même – sa primauté en tant que point de départ de toute connaissance quelle qu’elle soit.

Je voudrais que les jeunes croient que nous sommes des esprits vivants, que nous sommes des âmes vivantes et des enfants de l’esprit éternel, qui est la source divine de toutes choses, de l’univers aussi bien que de nous-mêmes. Je pense que de cela s’ensuit tout le reste. Cette croyance revient à faire demi-tour et à regarder dans l’autre sens.

Une fois que vous voyez que l’être humain porte la signature de Dieu, vous ne pouvez traiter les gens comme ils se traitent, eux, mutuellement.
On peut parler de Dieu non comme d’une personne, mais comme de la personne de l’univers. »

Kathleen Raine (Femmes en quête d’Absolu) Source Bouddhisme au feminin

Alexandra David Neel : Le Karma ( Le Bouddhisme du Bouddha)

« … Ce sera une chose difficile à comprendre que la loi de Causalité, l’enchaînement des causes et des effets… » (Mahâvagga)

Le problème, qui semblait au Bouddha d’une démonstration et d’une compréhension si ardue qu’il le fit hésiter au seuil de son apostolat, est demeuré aussi malaisé à saisir et à pénétrer qu’il l’était à son époque. Comment le Tathâgata concevait-il, lui-même, cette doctrine hindoue du Karma à laquelle il s’était rallié ? Nous ne devons guère espérer faire la lumière sur ce point.

 Dans les nombreux passages où la question est agitée, tout au plus pouvons-nous puiser quelques indications sur la manière dont ses disciples avaient compris les instructions entendues de sa bouche. Parmi les interprétations multiples, il semble, pourtant, qu’un fil ténu serpente, propre à nous servir de guide. Non pas qu’il puisse nous inspirer la certitude, ou même la simple espérance de pénétrer le secret d’une théorie dont l’esprit clairvoyant d’un Bouddha est, peut-être, seul apte à embrasser la complexité, mais susceptible, cependant, de nous permettre d’écarter les erreurs trop grossières, d’entrevoir quelques clartés lointaines.

 La doctrine du Karma domine toute la philosophie hindoue. Bien avant l’époque du Bouddha elle avait inspiré de longues et subtiles controverses entre les Brâhmanes et, de nos jours, les Védantistes, comme les Bouddhistes, lui donnent une place prépondérante dans leur enseignement. Karma a, en sanskrit, le sens d’action. Dans sa signification générale ce terme se rapporte à la loi de Causalité, dont une adaptation religieuse a fait la loi de la rétribution morale.

 Il n’y a pas d’effet sans cause. Toute manifestation dans le domaine physique ou mental procède d’actions antérieures et est, elle-même, l’origine de manifestations ultérieures. Toutes les formations de la matière tangible ou de l’intelligence ne sont que les anneaux d’une chaîne sans fin dans le passé comme dans l’avenir, continuant, à l’infini, la série des causes et des effets s’engendrant perpétuellement.

Cette conception,relativement nouvelle, dans la philosophie occidentale, remonte, chez les Hindous, à une antiquité considérable. Elle forme la base de leur croyance et nous la voyons percer sous toutes leurs théories religieuses, alors, même, qu’une interprétation faussée les jette dans l’extravagance. C’est d’elle qu’est née la doctrine du salut conquis par l’homme lui-même et d’elle aussi que procède celle, si mal connue par nous, des pouvoirs magiques, des Iddhis complètement différents, en leur essence, de nos « miracles ».

 La théorie du Karma étant pré-bouddhiste, on la considère comme adoptée par le Bouddha et, à ce titre, l’on néglige volontiers de lui donner l’importance qu’elle a, réellement, dans son enseignement.

 Il est vrai que Karma n’est pas une création originale du Bouddhisme au même titre que les « Quatre Vérités » ou le «Sentier aux huit Embranchements », mais ni l’une ni l’autre de ces notions n’eût pu exister sans la base qu’elle trouve dans le Karma. Supprimez la foi en la loi immuable de la Causalité et tout l’édifice bouddhique s’écroulera.

 C’est parce qu’il était imbu d’une foi profonde en elle, que Siddartha Gôtama a pensé comme il a pensé, agi comme il a agi, parlé comme il a parlé. Depuis le jour où il quitte sa demeure pour chercher la Cause de la Souffrance et le Moyen de détruire cette Cause pour en détruire les Effets, jusqu’aux dernières heures de son existence, alors qu’il répète, aux disciples qui l’entourent, cette phrase que l’usage a perpétuée sur les lèvres des Bouddhistes: « La dissolution est inhérente à toutes les formations », toute sa prédication a sa racine et puise sa raison d’être dans la théorie du Karma.

 « Toute manifestation est engendrée par des causes antérieures et donne, à son tour naissance, à de nouvelles manifestations. » La formule est simple, limpide et ne paraît pas devoir entraîner des développements bien compliqués. Il en est, en effet, ainsi si l’on se borne à poser un principe général sans chercher à entrer dans le détail de ses applications particulières.

La difficulté surgit lorsque l’on prétend suivre la marche de la loi de Causalité à travers le réseau emmêlé des actions et des réactions ; elle devient insurmontable si l’on prétend la faire entrer dans le cadre d’idées religieuses ou morale et l’asservir à celles-ci.

 Dans un pays où chacun donnait une adhésion sans réserve au principe déterministe et voyait son action dans les moindres faits de l’existence, les foules possédées, comme partout, du besoin de justice et de justice selon la notion de leur cerveau fruste, devaient mettre à une dure épreuve les moralistes obligés d’opérer, à leur usage, la conciliation de deux théories, non pas inconciliables par essence, mais dont l’action, trop vaste pour que nous puissions l’embrasser, se déroule dans l’infini de lointains inaccessibles à nos investigations.

 Les hommes ne sont pas tellement différents d’une latitude à une autre qu’une pensée familière à un peuple puisse être totalement étrangère à un autre, alors que cette pensée porte sur le fond commun des problèmes de la vie. Beaucoup aussi, en Occident, se sont demandé la cause des divergences mentales, physiques, sociales entre les individus : pourquoi suis-je né dans telle famille ? Pourquoi ai-je telle stature, telle infirmité, telle aptitude, tel défaut ?…

 Mais chez nous on ne s’est guère appesanti sur l’interrogation. Le mystère de la volonté de Dieu, plus tard la loi de l’hérédité ont suffi à contenter des gens dont la curiosité était loin d’aller jusqu’à l’angoisse.

 L’Inde, au contraire, tourne et retourne le problème depuis des siècles et la réponse définitive ne semble pas encore trouvée : — La volonté de Dieu ?… L’Inde ne croit pas à un Javeh anthropomorphique et tout-puissant. Ses Dieux y sont, comme tous les êtres, soumis à l’impermanence, à la loi de causalité. — Les théories modernes, atavisme, hérédité que sa jeunesse lettrée rapporte de nos universités ?… Elles lui semblent de petites parcelles de son antique doctrine du Karma…

 L’expression employée dans cet exposé de la doctrine bouddhique revient une fois de plus : «Par delà ». Karma, aussi, est une doctrine du « par delà » et comme la sagesse bouddhique est par-delà le Bien et le Mal, Karma, loi de l’existence, est par-delà la Justice (au sens de nos conceptions humaines limitées).

 Ce fait, ainsi que la difficulté de relier entre elles, les différentes manifestations karmiques a dû être saisi de bonne heure, mais il est un autre point qui, déjà chez les Brâhmanes, constituait une difficulté beaucoup plus sérieuse. Notre conception de l’homme fait en deux parties : l’âme et le corps, la première immortelle, le second s’anéantissant à la mort, nous rendrait relativement aisée la solution si peu commode à résoudre pour les philosophes orientaux.

 En supposant que nous admettions la transfiguration — ce qui est la seule façon possible de concevoir l’existence pour l’homme adhérent au principe, très vieux chez les Hindous: «Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » – nous n’aurions qu’à faire promener, à travers l’univers, une entité, toujours identique, se revêtant de formes diverses, s’enrobant de matière différente, dans les phases successives de son existence, Cet immuable ego se verrait, suivant l’impulsion que lui donneraient ses propres actes, entraîné vers telles régions, telles formes d’être, amasserait, autour de lui, tels ou tels éléments correspondant à des facultés spirituelles ou mentales, des dispositions heureuses ou des vices.

 C’est bien sous cet aspect que la masse des Hindous a toujours considéré I’œuvre de Karma et, bien que chez les Bouddhistes l’âtman qui, dans la philosophie brâhmanique, pouvait jouer, pour l’ignorant, le rôle de ce que nous appelons l’âme, soit complètement éliminé et considéré comme la plus pernicieuse des illusions, la grande masse de ceux qui se déclarent disciples du Bouddha n’a jamais cessé de l’envisager de même.

 Pourquoi cet homme est-il sourd ? – Parce que, dans l’une de ses existences antérieures il négligeait d’aller entendre prêcher la bonne Doctrine, ou qu’il se complaisait à ouïr des propos impurs, frivoles, malveillants… Ce malheureux dénué de tout est un ex-avare qui fut sans compassion pour la détresse d’autrui… Ce faible d’esprit fut un homme doué d’une intelligence supérieure qui, au lieu de se livrer à l’étude, gaspilla, dans la paresse, ses heureuses facultés…

 Cependant, même chez les fidèles peu doctes en la Loi, perce une certaine idée de la complexité du Karma : tels actes portent leur fruit dès cette vie, tels autres ne viennent à maturité qu’après une longue série d’existences successives. Certaines conséquences défavorables sont neutralisées ou modifiées par l’effet d’autres conséquences favorables et réciproquement. Il en résulte que la vie de chacun renferme des événements heureux et des événements pénibles, que l’ensemble physique et moral de l’individu comprend des laideurs et des beautés, de bonnes et de mauvaises dispositions. La note dominante est plus ou moins fortement accentuée, dans un sens ou dans l’autre, mais le mélange existe toujours.

 Cependant, tout cela demeure croyances vulgaires de pauvres esprits. L’orthodoxie bouddhiste ne connaît point l’âme immuable promenant une personnalité toujours identique, au milieu des transformations incessantes de la matière et, dès lors, le rôle du Karma se complique singulièrement. …/

 Il est, toutefois, à remarquer que les plus anciens ouvrages du canon orthodoxe parlent peu du Karma. La façon rigoureuse dont l’enseignement originel soutenait les théories de la non-personnalité et de l’impermanence ne lui permettait pas de tirer de la loi de Causalitê une notion de rétribution morale individuelle, celle-ci exigeant comme base logique la permanence d’une personnalité consciente.

D’autre part, c’est lorsque l’idée de cette personnalité permanente commence à réapparaître, dissimulée sous de vagues compromissions, que la question de la rétribution des œuvres prend une place de plus en plus large dans les préoccupations des docteurs du Bouddhisme.

 Les Questions du Roi Milinda nous fournissent, encore, un tableau intéressant du choc de ces deux théories et des problèmes connexes qu’elles entraînent. Bien que l’ouvrage ait été composé dans un but d’apologétique, les questions sont souvent mieux établies que les réponses qu’elles suscitent et quelque grande que soit l’habileté du controversiste elle demeure impuissante à concilier, sur le terrain où il se place, les éléments de deux doctrines disparates : …/

La vie ne comporte pas une série d’événements posés les uns à côté des autres, elle est un tout, un mélange où toutes les causes et les effets s’enchevêtrent. Nâgasenâ ne l’ignorait point et c’est ainsi qu’en dehors de la part qu’il attribuait à l’action directe du Karma individuel, il était conduit à envisager le Karma familial, celui de la race ou, pour nous exprimer en termes modernes, les influences héréditaires et ataviques, en même temps que les effets de l’éducation.

 « Imaginez que quelqu’un achète un vase de lait à un gardeur de troupeau et s’en aille en laissant le vase à ses soins, disant: ,, Je reviendrai demain », et le jour suivant, le lait se caille. Quant l’acheteur revient, on lui offre le lait caillé mais il le refuse, disant: « Ce n’est point du lait caillé que je vous ai acheté, donnez-moi mon vase de lait. » Mais le gardeur de troupeau réplique ; « Sans que j’y sois pour rien, votre lait est devenu du lait caillé. »

 Voici bien démontrée la relation entre la cause et l’effet, leur parenté, leur identité foncière, malgré les aspects très différents qu’ils peuvent revêtir et en dépit de l’individualité distincte attribuée à chacun d’eux. Mais tout ceci n’explique point l’action d’une équitable rétribution donnant à nos actes une sanction morale par les fruits que nous en récolterons en d’autres existences ou, à l’inverse, nous assurant que les circonstances heureuses ou pénibles de notre vie présente sont l’aboutissement de l’œuvre à laquelle nous avons personnellement travaillé dans l’infini des temps passés.

 Cette dernière idée ne doit pas se chercher dans le Bouddhisme. Elle ne s’y trouve point. Lorsqu’il nous semblera l’y rencontrer, nous pourrons nous dire, en toute certitude, ou que Dons nous trouvons en face d’un enseignement en désaccord avec la doctrine originelle, ou que nous saisissons mal la signification d’un passage obscur, prêtant à l’équivoque.

 Il ne peut y avoir place pour une justice distributive personnelle, pour une rétribution directe et individuelle, dans une philosophie qui nie la permanence et la réalité substantielle de la personnalité.*

 Karma, dans l’acception populaire de balance des récompenses et des châtiments, ou suivant celle que certains Théosophes ont acclimatée en Occident, est un non-sens au point de vue bouddhiste. L’œuvre et ses suites, l’action et ses conséquences, la Loi de l’enchaînement indéfini des Causes et des Effets (Karma-Vipâka), voilà ce qu’a simplement enseigné le Bouddhisme sans tenter d’y introduire cette notion de justice égoïste qui nous hante et qui, mesurant les choses à la mesure étroite de cerveaux qu’égare l’illusion du « Moi », paraît, parmi l’immensité des vues de la philosophie hindoue, une bien puérile manie.

 * Ce qu’il ne faut pas entendre dans le sens qu’il est indifférent que nous commettions n’importe quels actes. Bien au contraire, le Bouddhisme enseigne que l’on n’échappe jamais aux conséquences des actes commis. L’un des buts de la méditation bouddhiste est, précisément, en brisant la notion étroite du « moi », de faire saisir, sous un acte plus large, le jeu des actions et des réactions dans l’univers et la manière dont notre « moi » impermanent y participe.

 Alexandra David-Neel – Le Bouddhisme du Bouddha

Hubert Reeves : quel est votre état d’âme ?

« Voici une reconstitution, par ordinateur, de la disposition des galaxies dans les quelques milliards d’années-lumière d’espace qui nous entourent.  Chacun de ces points lumineux est une galaxie comme la nôtre, avec ses centaines de milliards d’étoiles, ses nébuleuses, ses planètes, et peut-être ses civilisations. Documents vertigineux qui nous rendent comme aucun autre l’image de l’immensité de notre univers. Et ce n’est qu’une goutte d’eau dans le vaste océan. Nos observations suggèrent que l’univers est infini, que le nombre de galaxies est infini.
« Nommez un chiffre aussi grand que vous le voulez, disent les mathématiciens, l’infini, c’est encore plus grand. » Combien y a-t-il de galaxies? Un milliard de milliards de milliards… de milliards? Encore plus. Toujours plus. Aussi longtemps que durera notre voyage, aussi loin que nous allions dans l’espace, l’univers reste toujours semblable à lui-même. Dans le hublot de notre vaisseau spatial, les galaxies se succèdent, indéfiniment…
Devant ce spectacle, quel est votre état d’âme ? Malaise, angoisse, exaltation, indifférence? Chacun vit à sa façon, avec sa sensibilité, les situations qui le dépassent. »

Hubert Reeves – Poussières d’étoiles.