Une question essentielle

Quelle convergence entre l’ascète yogi tibétain Milarepa et Madame Guyon, la grande mystique chrétienne ? entre Ramana Maharshi et le célèbre soufi Al-Hallâj ? Quel dénominateur commun à ces êtres hors de l’ordinaire qui, de façons apparemment tellement différentes, ont gravi les échelons menant à la réalisation ultime ? Ne s’agit-il pas d’une question de la plus haute importance ? s’interroger sur ce qu’est le cœur d’une pratique ?

L’être humain existe-t-il pour Dieu ? Maître Eckhart

“Le regard par lequel je connais Dieu est le regard par lequel Dieu me connaît.”
Maître Eckhart

« Par ailleurs, l’être humain non plus ne peut exister pour Dieu que dans la mesure où il parvient à reconnaître, par un aperçu direct, l’existence de son Créateur.
Il y a ainsi une interdépendance très mystérieuse entre Dieu et l’être humain, un paradoxe difficile à saisir au premier abord.
Si deux êtres ne se sont jamais rencontrés, ils ne peuvent exister l’un pour l’autre. En fait, la reconnaissance de l’un ne dépend-elle pas de l’existence de l’autre et vice versa ?

Il en est de même pour Dieu et sa Création ; Dieu ne peut reconnaître l’être humain qu’en fonction du degré auquel celui-ci Le reconnaît ! Une rencontre directe s’avère ainsi indispensable pour qu’une telle reconnaissance soit réciproque ; aussi, c’est une bien étrange constatation, qui semble à priori perturbante et même inacceptable, lorsqu’on découvre subitement que la reconnaissance de l’existence de Dieu dépend de l’être humain lui-même ! »

Edouard Salim Michael Les Fruits du chemin de l’Eveil chapitre 10

Maitry Upanishad : concentrer la conscience au delà de la pensée

« Ce qui n’est pas la pensée et qui se tient au milieu de la pensée, l’impensable, le mystérieux, le suprême, c’est sur lui qu’il faut concentrer la conscience. »

« Ayant pris conscience de son propre moi comme le Soi, le yogi se dépouille du moi ; et en vertu de cette absence du moi, il doit être conçu comme non conditionné. C’est là le mystère suprême, annonçant l’émancipation ; par l’absence du moi, il ne participe plus au plaisir ni à la douleur, mais atteint à la délivrance. »

Angèle de Foligno : Je ne me souviens plus de quoi que ce soit qui ait une forme

Très souvent, je vois Dieu suivant un mode et une perfection qui ne peuvent être ni exprimés ni conçus (…). Je vois que c’est le bien absolu (…) une délectation ineffable (…). Plus la ténèbre est profonde, plus ce bien surpasse la pensée et se montre inexprimable (…) Il surpasse même la puissance de Dieu, sa sagesse, sa volonté (…). Quand je suis plongée dans ce bien et que je le contemple, je ne me souviens plus de l’humanité de Jésus-Christ, ni de l’Incarnation, ni de quoi que ce soit qui ait une forme. Je vois tout, cependant, et je ne vois rien. »

Madame Guyon : Moins on fait d’oraison, moins on veut en faire

Je n’ai jamais approuvé ceux qui, sous prétexte d’avancement, négligent l’oraison, et j’ai regardé cela comme une des ruses de l’Ennemi les plus dangereuses. Je ne prétends pas qu’on ne puisse s’en dispenser pour des devoirs essentiels auxquels Dieu nous applique. Mais quels sont les devoirs essentiels qui ne nous laissent pas des moments pour nous reposer en Dieu ?

Il n’en est point. C’est le défaut d’oraison qui fait que nous trainons une vie imparfaite, que nous ne sommes ni pénétrés ni échauffés de cette lumière divine, lumière de vérité, lumière Jésus-Christ. Moins on fait d’oraison, moins on veut en faire, parce que se trouvant tout au dehors, on en contracte une habitude et l’on ne peut plus se tourner au-dedans.

(Correspondances – chemins mystiques p. 94)

Lankavara Sutra – Supprimer la conscience mentale –

La véritable extinction, c’est de supprimer la conscience mentale, la différenciatrice…, car pour agir, c’est sur elle que prennent appui les autres consciences… Cette conscience s’attache à la sphère sensorielle qu’elle discerne en la délimitant à l’aide des imprégnations. C’est elle aussi qui alimente la conscience de tréfonds.

Lankavara Sutra – Aux Sources du Bouddhisme

Jacques Lusseyran : notre destin se fait du dedans vers le dehors

On ne dit pas en quelques mots ce qu’a été un camp de concentration. Je n’essaierai pas de vous le dire. (../) Mais je n’étais pas un détenu comme les autres puisque j’étais aveugle. Il faut tout de même vous dire pourquoi j’ai survécu.

Parmi les deux mille français arrivés le même jour que moi à Buchenwald, il ne restait, lors de la libération de notre camp par la troisième armée américaine en avril 1945 que trente survivants. (…/)

Chaque fois que les spectacles et les épreuves du camp devenaient intolérables, je me fermais pour quelques minutes au monde extérieur. Je gagnais ce refuge où pas un kapo nazi ne pouvait m’atteindre. Je posais mon regard sur cette lumière intérieure que j’avais aperçue à huit ans. Je la laissais vibrer à travers moi. Et je constatais très vite que cette lumière, c’était de la vie, de l’amour. Je pouvais ouvrir à nouveau les yeux – et mes oreilles et mon odorat-sur le carnage et la misère. Je survivais.

Ne pas accepter cette explication – qui est la seule vraie-, c’est, il me semble, donner la preuve qu’on ignore ce fait à lui seul plus important que tous les autres : notre destin se fait du dedans vers le dehors, et jamais du dehors vers le dedans.

Jacques Lusseyran (1924-1971) La Lumière dans les Ténébres Ed Triades

Simone Weil : Reciter le Pater

« Je me suis imposée pour unique pratique de le réciter une fois chaque matin avec une attention absolue. Si pendant la récitation mon attention s’égare ou s’endort, fut-ce d’une manière infinitésimale, je recommence jusqu’à ce que j’aie obtenu une fois une attention absolument pure. Il m’arrive alors parfois de recommencer une fois par pur plaisir, mais je ne le fais que si le désir me pousse. »

« Parfois les premiers mots déjà arrachent ma pensée à mon corps et la transportent en un lieu hors de l’espace d’où il n’y a ni perspective ni point de vue. L’espace s’ouvre. L’infinité de l’espace ordinaire de la perception est remplacée par une infinité à la deuxième ou quelquefois à la troisième puissance. En même temps, cette infinité d’infinité s’emplit de part en part de silence, un silence qui n’est pas une absence de son, qui est l’objet d’une sensation positive, plus positive que celle d’un son. Les bruits, s’il y en a ne me parviennent qu’après avoir traversé ce silence.

« Parfois aussi, pendant cette récitation ou à d’autres moments, le Christ est présent en personne, mais d’une présence infiniment plus réelle, plus poignante, plus claire et plus pleine d’amour que cette première fois où il m’a prise. »

de La vie de Simone Weil par Simone Petrement

Milarepa : Les conditions indispensables

Un état absolu de quiétude mentale, accompagnée d’énergie et d’un pouvoir pénétrant d’analyse, d’un mental clair et investigateur sont les conditions indispensables ; comme les échelons inférieurs d’une échelle, ils sont absolument nécessaires pour parvenir plus haut.

Mais dans le procédé de méditation sur ce stade de tranquillité mentale (Shi-nay), en concentrant l’esprit, soit sur des formes, soit en pratiquant la méditation sans formes, l’esprit doit premièrement se pénétrer de compassion, remettant entièrement le résultat de ses efforts en l’Universelle Bonté.

Secondement, le but de ses aspirations doit être parfaitement clair et défini en s’élevant dans les régions de la pensée transcendantale.

Finalement, il faut prier mentalement et désirer bénir tous les autres d’une manière si sincère que cet acte mental aussi s’élève dans la pensée pure. Ceci, je crois, est le plus élevé de tous les Sentiers. Comme le simple nom d’un aliment ne peut satisfaire l’appétit d’une personne affamée et qu’elle doit, pour être satisfaite, goûter à cette nourriture, ainsi celui qui désire s’initier à la doctrine du Vide doit méditer sur elle en la réalisant, et non pas simplement en apprenant sa définition.

De plus, pour atteindre la connaissance de l’état de supra-conscience (Lhag-Tong), l’on doit pratiquer et s’habituer à un entrainement de la répétition des pratiques ci-dessus. En conclusion, l’habitude de la contemplation du Vide, de l’Equilibre, de l’Indescriptible et de l’Inconnaissable constitue les quatre différents stades des quatre degrés de l’Initiation conduisant au But Ultime.

Milarepa (Vie de Jetsun Milarepa Ed. Adrien Maisonneuve) p. 184

Edouard Salim MICHAEL – Un étrange sommeil diurne

« Le but principal de toute pratique spirituelle est de se libérer de la pesanteur d’un étrange sommeil diurne (dans lequel l’être humain passe si tristement sa vie) afin de devenir conscient de soi-même d’une façon différente de celle dont on l’est habituellement. Cette manière inhabituelle d’être conscient de soi-même constitue le sentier par excellence conduisant à la Source Divine enfouie dans les profondeurs de tout homme et de toute femme.

Si son esprit n’est pas derrière son regard et derrière son écoute, l’être humain est inévitablement, et d’une manière qu’il ne peut appréhender d’ordinaire, inconscient de lui-même. Sans le savoir, il ne vit qu’une existence végétative depuis l’aspect inférieur de sa double nature.

Il est, d’une façon incompréhensible pour lui, toujours identifié et piégé par tout ce qu’il voit et entend sans être capable de mettre de la distance entre lui et ce qui sollicite son attention afin de pouvoir faire la discrimination entre ce qui est favorable et ce qui est nuisible à son évolution spirituelle — ou même, à son bien-être terrestre. Et, dans cet état d’inconscience de lui-même ou de sommeil diurne, il continue à dormir en lui-même, enveloppé dans une brume invisible, tandis qu’il ne cesse de mourir intérieurement d’un instant à l’autre, sans jamais savoir ce qui lui arrive. »

Edouard Salim MICHAEL
Les Obstacles à l’Illumination et à la Libération chapitre 1

Hans Denck : Qui me donnera une voix ?

« Oh, qui me donnera une voix
que je puisse crier au monde entier
que Dieu, qui est au plus haut
est aussi au plus profond de nous
et attend que nous retournions à lui.

« Oh mon Dieu, comment se fait-il, dans ce pauvre vieux monde,
que Tu sois si grand et que pourtant personne ne Te trouve,
que Tu appelles d’une voix si forte et que personne ne T’entende,
que tu sois si proche et que personne ne Te sente,
que Tu Te donnes à tout le monde et que personne ne sache Ton nom ?

Les hommes te fuient et disent qu’ils ne peuvent Te trouver ;
ils Te tournent le dos et disent qu’ils ne te voient pas ;
ils se bouchent les oreilles et disent qu’ils ne peuvent t’entendre. »
Hans Denk

« Au fond, sans jamais le savoir d’ordinaire, tout le monde est appelé. Ce qui ne permet pas à la majorité de l’humanité de reconnaître cet appel, c’est que le niveau de leur conscience et de leur être est, du point de vue spirituel, trop bas — en dépit du fait qu’ils pensent posséder, en tant qu’êtres humains, le plus haut degré de conscience possible — et, sans qu’ils
ne s’en rendent compte, cette limitation de leur conscience
et de leur être induit en eux une forme d’insensibilité très particulière qui les rend incapables de sentir la subtilité de cet appel, lequel, en raison de la singularité de sa nature, ne peut se manifester de façon tangible.
De surcroît, là où ils laissent leur attention être attirée, c’est là qu’inévitablement va se trouver leur intérêt ; or, comme celui-ci est généralement tourné uniquement vers l’extérieur, vers le monde des sens (), ils sont d’autant moins aptes à sentir en eux cet appel silencieux. Et même si, par hasard, certains parviennent à être conscients de cet appel, combien parmi eux vont-ils accepter de sacrifier ce qui leur tient à cœur extérieurement pour pouvoir y répondre ?  »

Edouard Salim MICHAEL  Dans le Silence de l’Insondable chap 2