Edouard Salim Michael : La division d’attention

Il est fréquent d’entendre des aspirants dire qu’ils ne peuvent répondre en même temps à l’appel de la vie extérieure et à celui de la vie intérieure ; que, s’ils cèdent aux exigences interminables de la vie extérieure, leur vie intérieure en souffre, et que si, au contraire, ils obéissent à l’appel de la vie intérieure, c’est alors la vie extérieure qui est négligée et en pâtit.

Il faut à un chercheur beaucoup de patience et de fermeté pour arriver à dominer une certaine résistance venant de son moi ordinaire qui l’empêche d’établir en lui une division d’attention très particulière, indispensable dans une quête spirituelle. Ce n’est qu’à la suite d’une pratique tenace et répétée de certains exercices de concentration effectués dans la vie active (et dont l’intensité dépend de son niveau de conscience, de son niveau d’être et de son niveau d’intelligence), qu’il pourra trouver le moyen de vivre dans deux mondes à la fois : d’une part, un monde translucide et éthéré qu’il porte déjà dans les profondeurs de son être et, d’autre part, le monde manifesté et grossier, perceptible par ses organes sensoriels. Ainsi, d’une manière très spéciale, son regard restera tourné vers le monde du dehors, mais, en même temps, son esprit sera dirigé vers l’intérieur de lui-même.

Cette division d’attention particulière (à laquelle l’aspirant doit s’exercer inlassablement) se rencontre mystérieusement chez certains très grands compositeurs ; c’est uniquement grâce à elle que, sans en avoir conscience, ces grands êtres parviennent, alors qu’ils sont intensément absorbés par leurs créations musicales, à entrer en contact avec un autre monde en eux, un univers intérieur énigmatique d’où ils tirent leurs extraordinaires inspirations qui, par la suite, émerveillent le monde extérieur. Cette division d’attention, tellement importante pour la croissance spirituelle de l’aspirant, créera mystérieusement en lui une expansion de sa conscience. En outre, ce n’est que lorsqu’il parviendra à conserver cette subtile division d’attention dans sa vie active qu’un certain équilibre pourra commencer à s’établir en lui entre le monde extérieur et le monde intérieur, un équilibre qui lui permettra d’être conscient de lui-même de manière juste. (..)

Si l’aspirant est réellement sincère dans son désir de répondre à cette énigmatique voix intérieure qui l’appelle si mystérieusement, et s’il est prêt à se donner entièrement à ce qu’il souhaite atteindre en lui-même (qui, sans que peut-être il le réalise au commencement, est pour lui une question de vie ou de mort !), il ne peut alors éviter de constater que la lutte qui lui est demandée pour demeurer intérieurement présent et vrai se révèle indiscutablement difficile. Et, s’il ne se montre pas suffisamment lucide et sur ses gardes devant les problèmes qu’il rencontre en lui-même, il risque de se décourager fréquemment (ou même de capituler en route) en voyant à quel point cette Vérité d’Être et cette Présence Intérieure, qu’il tente si péniblement de consolider en lui, sont fragiles et difficiles à maintenir en vie.

Il sera sans doute déconcerté lorsqu’il découvrira que cette Vérité d’Être et cette Clarté de conscience, qu’il essaie de garder vivantes en lui, ne durent qu’un bref instant avant de s’altérer et de se mêler à nouveau à son état d’esprit coutumier dans lequel il cesse d’être, redevenant ce qu’il est d’habitude, avec ses pensées confuses et ses bavardages intérieurs futiles.

Au début de son engagement dans cette étrange bataille intérieure, la lutte pour demeurer présent et vrai en lui-même peut s’avérer très pénible à supporter pour l’aspirant, car, pendant longtemps encore, ses efforts lui sembleront peut-être ne pas porter de fruits,* et il sera continuellement tenté de vouloir abandonner ce combat intérieur, pensant qu’il est inutile de le poursuivre. Ou bien, il peut même en arriver à croire que la voie qu’il suit n’est pas la bonne et qu’il lui faut en chercher une autre, qu’il doit certainement y avoir quelque part un chemin meilleur et plus facile à suivre !

Il est difficile pour l’aspirant d’accepter que la facilité ne puisse en aucune manière être possible dans une voie spirituelle authentique, à moins d’avoir déjà subi, dans un passé insondable et incompréhensible d’ordinaire, une longue préparation — et même encore…, comme le démontre la vie de tant de grands mystiques, y compris celle du Bouddha, qui ne fut, jusqu’à son illumination finale, qu’un immense effort continuel !

Edouard Salim Michael : Les Obstacles à L’Illumination

0 commentaires

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.