Alexandra David Neel: La réincarnation et les tulkous
« Quoique le bouddhisme originel dénie l’existence d’une âme permanente
qui transmigre et considère cette théorie comme la plus pernicieuse des
erreurs, la grande majorité des bouddhistes sont retombés dans
l’ancienne croyance des Hindous concernant le jîva (le « moi ») qui,
périodiquement « change son corps usé pour un nouveau corps comme nous
rejetons un vêtement usé pour un revêtir un neuf. » (…)
La réincarnation des tulkous n’a rien qui puisse sembler étrange à des
gens qui croient à un ego qui transmigre périodiquement. D’après cette
croyance, chacun de nous est un tulkou. Le « moi » incarné en notre
forme présente a existé dans le passé en d’autres formes. La seul
particularité qu’offrent les tulkous, c’est qu’ils sont dits être les
réincarnations de personnalités remarquables, qu’ils se souviennent,
parfois, de leurs existences passées et qu’il leur est possible, en
certains cas, de choisir et de faire connaître leurs futurs parents et
l’endroit où ils renaîtront.
Néanmoins, certains lamas voient une différence considérable entre la
réincarnation du commun des hommes et celle de ceux qui sont
spirituellement éclairés.
Ceux disent-ils, qui n’ont pratiqué aucun entraînement mental, qui
vivent comme les animaux, cédant inconsciemment à leurs impulsions,
peuvent être assimilés à un homme errant à l’aventure, sans suivre
aucune direction définie.
Par exemple, il entrevoit un lac à l’est et, étant altéré, le désir de
boire le pousse à marcher vers celui-ci. Lorsqu’il s’en approche, il
sent l’odeur de la fumée qui éveille en lui l’idée d’une maison ou d’un
campement. Il serait agréable pense-t-il de boire du thé au lieu d’eau
et d’avoir un abri pour la nuit. Il laisse donc le lac avant d’en avoir
atteint le bord et, l’odeur venant du nord, il tourne ses pas dans cette
direction. Comme il chemine, avant qu’il ait aperçu aucune maison, ou
aucune tente, des fantômes menaçants surgissent devant lui. Terrifié, le
vagabond fuit à toute vitesse vers le sud. Lorsqu’il juge être assez
loin des monstres pour n’avoir plus rien à craindre d’eux, il s’arrête.
Alors, d’autres chemineaux de son espèce viennent à passer. Ils vantent
les charmes d’un quelconque pays (…). Et sur cette route encore,
d’autres incidents le feront changer de direction avant même d’avoir
entrevu le pays désiré. (..)
Ainsi, changeant continuellement de direction toute sa vie, ce fou
n’atteindra jamais aucun but. La mort le prendra au cours de ses folles
pérégrinations et les forces antagonistes, nées de son activité
désordonnée, seront dispersées. La somme d’énergie nécessaire pour
déterminer la continuation d’un même courant n’ayant pas été produite,
nul tulkou ne peut être formé.
Au contraire, l’homme éclairé est comparé à un voyageur qui sait
clairement où il veut aller et est bien informé quant à la situation
géographique de l’endroit qu’il a choisi comme but et des routes qui y
conduisent. L’esprit entièrement fixé à sa tâche, aveugle et sourd aux
mirages et aux tentations surgissant sur les côtés de son chemin, rien
ne le détourne de sa voie. Cet homme canalise les forces engendrées par
sa concentration de pensées et son activité physique. La mort peut
dissoudre son corps sur la route, mais l’énergie psychique dont ce corps
a été à la fois le créateur et l’instrument demeure cohérente.
S’obstinant vers le même but, elle se pourvoit d’un nouvel instrument
matériel, c’est-à-dire d’une nouvelle forme qui est un tulkou.
Ici nous rencontrons différentes vues. Certains lamas croient que
l’énergie subtile après la mort de celui qui l’a engendrée — ou
alimentée s’il est déjà un tulkou (..) — attire à elle et groupe des
éléments sympathiques et devient ainsi le noyau d’un nouvel être.
D’autres disent que le faisceau des forces désincarnées s’unit à un être
existant déjà, dont les dispositions physiques et mentales, acquises en
des vies antérieures, permettent une union harmonieuse.
A. David Neel Mystiques et magiciens du Tibet
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