Georges Gurdjieff : Personne n’a le droit de se dire Chrétien
« Personne n’a le droit de se dire Chrétien, s’il n’accomplit dans sa vie les préceptes du Christ. Un homme peut dire qu’il désire être Chrétien, s’il s’efforce d’accomplir ses préceptes. S’il n’y pense même pas, ou s’il en rit, ou s’il les remplace par quelque chose de son invention, ou simplement s’il les oublie, il n’a aucun droit de se dire chrétien…
Les gens se disent chrétiens, mais sans comprendre qu’ils ne le veulent pas, qu’ils ne le peuvent pas, parce que, pour être Chrétien, ne suffit pas de le désirer, il faut encore en être capable.
« L’homme, en lui-même, n’est pas un, il n’est pas « Moi », il est » nous « , ou, pour parler plus rigoureusement, il est « eux ». Tout en découle. Supposons qu’un homme veuille, selon l’Évangile, tendre la joue gauche, après avoir été frappé sur la joue droite. Mais c’est un seul de ses « moi » qui prend cette décision, soit dans le centre intellectuel, soit dans le centre émotionnel. Un « moi » veut, un « moi » s’en souvient, les autres n’en savent rien.
Imaginons que la chose se produise réellement: Un homme a été souffleté. Pensez-vous qu’il tendra sa joue gauche? Jamais. Il n’aura même pas le temps d’y penser. Ou bien il giflera à son tour l’homme qui l’a frappé, ou bien il appellera un agent, ou bien il s enfuira ; son centre moteur réagira comme il en a l’habitude, ou comme il lui a appris à le faire — bien avant que l’homme se rende compte de ce qu’il fait.
Pour pouvoir tendre la joue gauche, il faut avoir été instruit pendant longtemps, il faut s’être entraîné avec persévérance. Car, si la joue est tendue mécaniquement cela encore n’a aucune valeur ; l’homme tend sa joue parce qu’il ne peut pas faire autrement. »
– La prière ne peut-elle pas aider un homme à vivre comme un Chrétien? demanda quelqu’un.
– Je l’ai déjà dit : cela dépend de celui qui prie, répondit Gurdjieff. On doit apprendre à prier, exactement comme on doit apprendre toutes les autres choses. Pour celui qui sait prier et qui est capable de se concentrer de la bonne façon, la prière peut donner des résultats.
Mais comprenons qu’il y a différentes prières, et que leurs résultats sont différents. Cela est bien connu, même de la liturgie ordinaire. Mais lorsque nous parlons de la prière, ou de ses résultats possibles, nous ne considérons qu’une sorte de prière – la demande ; ou bien nous pensons que la demande peut s’associer à toutes les autres sortes de prières. Évidemment, ce n’est pas vrai. La plupart des prières n’ont rien de commun avec des demandes. Je parle des anciennes prières, dont beaucoup remontent plus haut que le Christianisme. Ces prières sont pour ainsi dire des récapitulations, en se les répétant, à haute voix, ou mentalement, l’homme s’efforce d’éprouver tout leur contenu, avec sa pensée et son sentiment.
Par ailleurs, un homme peut toujours composer des prières nouvelles à son propre usage. Il dira, par exemple: « Je veux être sérieux ». Tout dépend de la façon dont il le dira. Le répéterait-il dix mille fois par jour, s’il se demande quand il en aura fini, et ce qu’il aura ensuite pour dîner, cela ne s’appelle pas prier, mais se mentir a soi-même.
Cependant, ces mêmes paroles peuvent devenir une prière, si l’homme les récite ainsi:
« JE » – et en même temps il pense à tout ce qu’il sait sur » Je ». Ce « Je » n’existe pas, il n’y a pas un seul » Je « , mais une multitude de petits » moi » revendicateurs et querelleurs. Pourtant, il veut être un vrai » Je »; il veut être le maître. Et il se souvient de la voiture, du cheval, du cocher et du maître. « Je » est le maître.
« VEUX » – et il pense à la signification de « Je veux « . Est-il capable de vouloir? En lui constamment, » ça veut » et « ça ne veut pas »; mais il fera l’effort d’opposer à » ça veut » et » ça ne veut pas » son propre » je veux », qui est lié au but du travail sur soi. En d’autres termes, il tâchera d’introduire la troisième force dans la combinaison habituelle des deux forces: « ça veut » et » ça ne veut pas ».
« ETRE » – il pensera à ce que cela signifie, » être ». L’être d’un homme automatique, pour qui tout arrive. Et l’être d’un homme qui peut faire. Il est possible d’ « être » de bien des façons. Il veut » être » non pas seulement dans le sens d’exister, mais dans le sens de grandeur, de pouvoir avec grandeur. Alors le mot » être » prend un poids, un sens nouveau pour lui.
« SÉRIEUX » – il s’interroge sur la signification de ces mots: » être sérieux ». La manière dont il se répond est très importante. S’il comprend ce qu’il dit, s’il est capable de se définir correctement ce que cela veut dire, « être sérieux « , et s’il sent qu’il le désire vraiment, alors sa prière peut avoir des résultats: d’abord il peut en recevoir une force, ensuite il pourra plus souvent remarquer à quels moments il n’est pas sérieux, enfin il aura moins de peine à se vaincre lui-même. Donc sa prière l’aura aidé à devenir sérieux.
« De la même manière, un homme peut prier: » Je veux me rappeler moi-même ».
» ME RAPPELER » – que signifie » se rappeler » ? L’homme doit penser à la mémoire – combien peu il se rappelle! Comme il oublie souvent ce qu’il a décidé, ce qu’il a vu, ce qu’il sait! Toute sa vie changerait, s’il pouvait se rappeler. Tout le mal vient de ses oublis.
» MOI-MEME » – de nouveau il fait un retour sur soi. Quel » moi » désire-t-il se rappeler? Cela vaut-il la peine de se rappeler soi-même en entier? Comment peut-il discerner ce qu’il veut se rappeler? L’idée du travail : comment parviendra-t-il à se relier plus étroitement au travail? Et ainsi de suite.
« Dans le culte chrétien, il y a d’innombrables prières exactement semblables à celles-ci, où il est nécessaire de réfléchir sur chaque mot. Mais elles perdent toute portée, toute signification, lorsqu’elles sont récitées ou chantées mécaniquement.
« Considérons la prière bien connue: « Seigneur ayez pitié de moi ». Qu’est-ce que cela veut dire? Un homme lance un appel à Dieu. Est-ce qu’il ne devrait pas penser un peu, est-ce qu’il ne devrait pas faire une comparaison, se demander ce que Dieu est, et ce qu’il est lui-même? Puis, il demande à Dieu d’avoir pitié de lui. Mais il faudrait que Dieu pense à lui, le prenne en considération. Or cela vaut-il la peine de le prendre en considération? Qu’y-a-t-il en lui qui soit digne que l’on y pense? Et qui doit penser à lui? Dieu-même.
Vous le voyez, toutes ces pensées, et bien d’autres encore, devraient traverser son esprit lorsqu’il prononce cette simple prière. Et ce sont précisément ces pensées qui pourraient faire pour lui ce qu’il demande à Dieu de faire. Mais à quoi pense-t-il, et quels résultats sa prière peut-elle avoir, quand il répète comme un perroquet: Seigneur, pitié ! Seigneur, ayez pitié ! Seigneur, ayez pitié ! Vous savez bien que cela ne peut donner aucun résultat.
P. D.Ouspensky: Fragment D’un enseignement inconnu selon l’enseignement de G . Gurdjieff
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